This is the transcript (slightly edited for style and size) of an interview with French economy minister Bruno Le Maire, which took place on January 18 in Paris.
Q: Le président de la République et vous même allez rencontrer plusieurs dizaines de chefs d’entreprises étrangers à Versailles lundi pour ce « sommet de l’attractivité ». Ce sera pour beaucoup d’entre eux une halte sur le chemin de Davos. Que souhaitez-vous leur dire? Confirmer leur bonne opinion de la France, annoncer d’autres initiatives ?
BLM: Le sens politique de cette initiative est très simple : « France is back. » Et je crois que c’est un message très simple, très direct que nous allons adresser a ces chefs d’entreprise étrangers, la France est de retour, renoue avec la croissance, prend enfin les mesures de transformation économique qui sont attendues pour être plus attractive.
On n’aurait pas imaginé ça il y a quelques années d’avoir 120 CEOs faire cette halte a Paris, et je pense que c’est une des preuves de l’attractivité retrouvée de la France.
Mais être attirant ne suffit pas. Il faut conclure, avec des investissements et des emplois. Il ne faut jamais, ni relâcher la pression, ni relâcher nos efforts en matière de transformation économique du pays. Nous avons fait des réformes importantes, je pense a la reforme du droit du travail, je pense a la reforme fiscale avec un abaissement de la fiscalité sur le capital qui va permettre de relancer l’investissement et la création de richesse dans notre pays.
Mais la concurrence internationale est féroce, il faut convaincre sans cesse, et que tant que les investissements ne sont pas réalisés et que les emplois ne sont pas crées en France, il ne faut pas baisser la garde. C’est vrai notamment dans le secteur financier à la suite du Brexit, mais c’est vrai aussi dans le secteur industriel ou le secteur du numérique.
C’est la deuxième raison de l’utilité de ce sommet. Il doit nous permettre de répondre concrètement aux attentes de ces CEOs. Et là où la méthode est originale, c’est qu’au lieu d’avoir un grand discours du président de la république ou du gouvernement devant le parterre des 120 CEOs, vous allez avoir du « speed dating » avec des entretiens de 20 mn entre les CEOs et la personnalité politique qu’ils souhaitent rencontrer. Je vais par exemple avoir moi-même un entretien avec Jamie Dimon, le président de JP Morgan, ou le président de Bosch.
Il ne s’agit pas uniquement de dire « regardez comme la France est belle, » il s’agit de dire aussi « nous vous écoutons, vous avez des attentes, nous allons y répondre… »
Q : Rencontrez vous souvent chez les investisseurs étrangers l’inquiétude que ce qui se passe en France n’est pas stable ou durable, que ce qu’un gouvernement fait, un autre pourra un jour le défaire ?
BLM : Je crois que il y a la conviction qu’enfin les choses changent – et je pèse mes mots. Mais toutes ces entreprises ont besoin de cette stabilité. J’inscris mon action dans le temps long. La loi sur les entreprises que je présenterai au printemps prochain est une manière de dire regardez, nous avons fait des réformes, ne nous arrêtons pas la, il y aura d’autres mesures qui vont dans la même direction.
C’est très important parce que les investisseurs ont été tellement échaudés par les revirements successifs des différents gouvernements qu’il faut leur garantir cette stabilité. Mais je suis la pour leur dire « je m’inscris dans le temps long, nos décisions s’inscrivent dans le temps long. »
Q : Quand vous allez parler aux banquiers, vous allez en profiter pour vanter Paris comme place financière et point de chute à la suite de Brexit?
BLM : Oui bien sûr. La France peut être une grande place financière européenne et internationale. Depuis dix ans nous avions abandonné cette ambition de manière stupide et idéologique, et en contradiction complète avec ce qu’est la France, qui a toujours été une grande nation financière.
Q : La France reste quand même le pays des grandes banques européennes…
B LM : Oui mais nous n’avons pas réussi à attirer dans le passé les grandes banques Anglos saxonnes. Or nous avons des atouts.
Premier atout que vous venez de rappeler, nous sommes le pays en Europe qui a le plus de banques systémiques.
Deuxième atout, nous avons un dispositif de régulation solide
Troisième atout, nous venons d’avoir l’autorité bancaire européenne qui va s’installer en France et dont j’espère qu’elle sera l’embryon d’un système de régulation européen plus solide dans les années qui viennent.
Quatrième atout, nous prenons des décisions pour attirer les investisseurs. Nous avons pris notamment des décisions pour diminuer la taxe sur les salaires, nous prenons des dispositions pour créer des écoles bilingues.
Q : A un banquier qui hésite entre Paris et Francfort, l’argument qui tue c’est quoi ?
BLM : Demandez à votre conjoint si il ou elle préfère passer un week-end à Francfort ou à Paris.
C’est cela, l’argument qui tue. Paris a une qualité de vie unique au monde. Vie culturelle, animation, la taille de la ville, sa situation : ce sont des atouts importants. IL n’y a pas que des considérations financières J’ai été frappé dans mes discussions avec les dirigeants de Bank of America, Merrill Lynch, JP Morgan, Morgan Stanley, Goldman Sachs : Ils ont leur préoccupations financières, mais, tout de suite après, il y a la qualité de vie : les écoles, les collèges, la sécurité, l’offre culturelle…
Q : Vous allez parler à un moment où les Américains ont voté une réforme fiscale qui préoccupe les gouvernements européens et les place dans un contexte concurrentiel complexe quand on voit Apple qui va rapatrier ses bénéfices aux Etats Unis. Pensez vous qu’il faut en faire davantage pour garder une partie de la matière fiscale de ce coté ci de l’Atlantique?
BLM : Nous sommes confrontés à une concurrence commerciale et fiscale féroce de la part des deux géants économiques mondiaux que sont les Etats Unis et la Chine. La bonne réponse a cet environnement concurrentiel féroce n’est pas se plaindre, c’est se battre.
C’est d’abord le volontarisme dans la transformation de notre économie – je viens d’en parler. Mais c’est aussi l’unité sans faille des états européens face aux Etats Unis et face la Chine avec des décisions concrètes, Nous avons écrit aux autorités américaines sur les nouvelles règles fiscales et je verrai Steven Mnuchin à Davos pour lui reparler de ce sujet la qui est un vrai sujet de préoccupation. Le risque, c’est que les grandes entreprises américaines rapatrient leurs activités leurs investissements et leurs emplois d’Europe vers les Etats Unis, et que les entreprises européennes en retour soient pénalisées dans leur développement aux Etats-Unis.
Nous avons une préoccupation très forte, nous l’avons rappelé avec mon collègue allemand Peter Altmaier, sur les GAFAs et la taxation des GAFAs. Nous avons demandé à la Commission européenne de déposer une proposition législative ambitieuse et concrète au printemps prochain. Donc il ne faut pas relâcher l’effort.
Il faut également que nous soyons en mesure de nous protéger, et j’ai annonce que nous ferions une protection supplémentaire avec un renforcement du décret sur les investissements étrangers en France, au niveau national, qui sera cohérent avec le renforcement du décret sur les investissements étrangers qui sera pris au niveau européen sur ce sujet.
Il nous faut définir le champ des investissements qui sont bienvenus en Europe. Et par ailleurs nous ne pouvons pas accepter des investissements venant d’entreprises qui bénéficient des aides d’Etat excessives que nous refusons nous-mêmes à nos entreprises. Je rappelle que le géant de la robotique allemand. Kuka, a été racheté par une entreprise chinoise qui bénéficie d’aides d’Etat importantes : on est là dans une concurrence totalement inégale.
Q : N’y a-t-il pas un paradoxe dans le fait de vouloir taxer les GAFAs dans on contexte où, aux Etats Unis, on fait tout pour les faire revenir ? Est ce que la réponse classique ne serait pas d’essayer au contraire de les retenir au lieu de les réprimer?
BLM : La voie d’une concurrence fiscale toujours plus forte, du dumping fiscal, est une voie sans issue. Les Américains pourront aller toujours plus loin dans le moins-disant fiscal: Si nous nous engageons dans cette voie, nous perdrons sur tous les tableaux : non seulement les GAFAs resteront aux Etats Unis, mais en plus nous n’aurons plus les recettes suffisantes pour financer nos biens publics.
L’Europe doit défendre son propre modèle de développement économique. Elle ne doit être ni la Chine, ni les Etats-Unis. Nous, nous avons un modelé de développement économique dans lequel nous voulons réduire les inégalités – c’est l’honneur de l’Europe – dans lequel nous garantissons le bon financement de nos biens publics – hôpitaux, crèches, services publics – qui supposent un niveau de taxation raisonnable mais suffisant. C’est aussi un modelé dans lequel nous voulons plus de solidarité entre les Etats de l’Union Européenne. Ce modèle nous y sommes attachés.
Donc nous ne voulons pas entrer dans une concurrence fiscale avec les Etats Unis qui serait suicidaire pour l’Europe.
Q : Vous préférez Apple payant ses impots aux Etats Unis à Apple ne les payant pas en Irlande ?
BLM : Non, je souhaite qu’Apple, aussi bien que Google, Amazon ou Facebook, s’installe ou il le souhaite. Mais quand ces groupes créent de la valeur en Europe avec les consommateurs européens et les données des citoyens européens, ils doivent payer leurs impôts. Aujourd’hui, ils ne les paient pas en Europe. Et le problème est là.
Google, Amazon, Facebook et Apple sont bienvenus en Europe. Ils utilisent les milliards de données des millions de consommateurs européens, et doivent payer des impôts sur ces données et cette consommation. Aujourd’hui ce n’est pas le cas. Qui peut l’accepter ?
Q : L’idée d’une concurrence par l’impôt reste pourtant celle d’un certain nombre de pays européens…
BLM : D’un nombre très limité de pays européens, et pas des Etats les plus puissants d’Europe. Car n’oublions pas qu’il y a deux Etats, la France et l’Allemagne, qui font à eux seuls la moitié de la richesse européenne, et qui pèsent, et qui sont décidés à peser.
L’autre aspect de cette question, c’est d’arriver à un niveau de taxation qui soit plus homogène en Europe.
Q : Si certains baissent leur impôt sur les sociétés, d’autres devront l’augmenter ?
BLM : On reproche à la France d’avoir taux d’impôt sur les sociétés trop élevé. Nous faisons un effort, nous ramenons le taux de 33 a 25%. Nous souhaitons que les autres Etats fassent aussi cet effort de convergence
Ce qu’a proposé le président de la république, c’est d’avoir un couloir de taux, c’est à dire un écart acceptable entre le niveau le plus élevé et le niveau le plus bas. C’est une proposition raisonnable, qui prend en compte aussi les difficultés d’un pays comme l’Irlande. Jai reçu mon homologue irlandais il n’y a pas très longtemps, je mesure a quel point le développement économique de l’Irlande repose sur un modèle qui ne peut pas être étendu a tous les pays européens, et je mesure que le Brexit a un impact significatif sur l’économie irlandaise.
Et la deuxième remarque, c’est que l’important est d’avoir au préalable un accord sur la base fiscale de l’impôt sur les sociétés, ce que nous pensons pouvoir obtenir avec l’Allemagne avant juin 2018.
Q : Vous avez exprimé l’espoir avec votre homologue allemand d’arriver à un accord sur la réforme de la zone euro d’ici Juin. N’est ce pas un peu optimiste ?
BLM : Nous sommes sur la même longueur d’onde sur l’union bancaire, l’union des marchés de capitaux et la convergence fiscale. La preuve en est que nous avons dit que nous devrions parvenir à une position commune franco-allemande sur ces 3 sujets d’ici le mois de juin au plus tard.
Et pour aller plus loin : nous avons parfaitement identifié avec Peter Altmaier les points de blocage. Ce sont les mêmes depuis dix ans. La convergence fiscale, ce fut l’objet d’une grande relance au sommet de Deauville entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. En huit ans il ne s’est rien passé : pourquoi ? Parce qu’il y a derrière des sujets techniques qui ont une incidence extremement lourde, il ne faut pas se le cacher, qui vont demander a chacun de faire des pas en direction de l’autre.
Q : Sur la garantie des dépots, sur le rôle du mécanisme de stabilité européen, les approches semblent pourtant toujours aussi éloignées ?
BLM : Nous avons déjá un diagnostic partagé sur les points de blocage techniques sur chacun des chapitres – garantie des dépôts, prêts non performants, dette souveraine. Et nos équipes techniques vont avancer sur chacun de ces trois points
La discussion a changé de nature, on n’est plus dans les grandes déclarations générales, on va aller au fond des sujets, on va regarder chaque problème technique dans le détail.
Q : Il semble y avoir aussi un blocage politique qui semble venir du fait que les Allemands ont l’impression depuis le début de la crise de payer pour les autres ?
BLM : Je vous coupe sur ce point : J’ai dit très clairement à Peter Altmaier que les Français payent aussi pour les autres et parfois plus, comme dans le cas du fond de résolution bancaire, pour lequel les banques françaises sont les premiers contributeurs en raison leur poids en Europe. Il faut creuser les sujets et savoir parfois dépasser ce qui passe trop souvent pour des évidences..
Q : Compte tenu du fait qu’il est difficile qu’un gouvernement allemand soit formé avant le mois de mars, sera-til possible ensuite de régler tous les problèmes en trois mois ?
BLM : La réalité est que, soit on avance en trois mois, soit c’est qu’on n’est pas décidés à avancer. C’est pour cela que j’ai insisté pour fixer des délais contraignants. Pour sortir de l’immobilité, on ne parle plus de grandes idées, on parle de problèmes techniques, et on regarde quelles solutions on peut apporter ensemble. Et ca c’est une méthode très différente
Q : Un sentiment s’est répandu à Bruxelles qu’on n’a pas encore beaucoup vu pour l’instant les idées françaises précises sur le sujet.
BLM : Une bonne méthode de discussion, si on veut qu’elle aboutisse, n’est pas sur la place publique. Je ne vais pas me servir des medias pour faire pression sur le gouvernement allemand. Ce serait contre productif. Mais je vous assure que dans le moindre détail, la position française est définie, validée par le président de la République, travaillée au niveau technique.
Mais rien ne filtrera. Tant qu’il y a pas d’accord, étaler les divergences sur la place publique c’est retarder la possibilité d’un accord.
Q : Comment faire pour rassurer les pays influents de la zone euro comme l’Italie qui peuvent avoir l’impression que les Français et les Allemands sont en train de s’entendre sans consultation avec les autres.
BLM : Nous sommes pour un franco-allemand ouvert. Il faut une discussion franco allemande approfondie. Vous voyez bien que les enjeux techniques et politiques sont tellement lourds que cette discussion à deux est indispensable si on veut vraiment régler les problèmes
Mais c’est un franco allemand ouvert, notamment a l’Italie et a l’Espagne. Du point de vue de la méthode, il est beaucoup plus efficace de discuter à deux et de s’ouvrir régulièrement à l’Espagne et a l’Italie plutot que de faire tout de suite la discussion à quatre.
Q : Donc la zone euro, c’est une série de cercles concentriques avec le noyau dur Franco-allemand, ensuite l’Espagne et l’Italie, ensuite tous les autres ?
BLM : C’est exactement ça. Je suis a pour que les décisions soient prises. Je ne suis pas là pour palabrer, et on ne peut pas se permettre de palabrer parce qu’il y a urgence à faire franchir à la zone euro une étape supplémentaire. Je pense que c’est la seule méthode qui est susceptible de donner des résultats.
Ya pas de méthode parfaite. Bien sur que a chaque fois que vous avez une méthode de négociation, elle peut susciter des crispations, irritations auxquelles il faut répondre.
Mais a un moment donné, il faut décider. Et là, on est dans le temps de la décision.
Q : Et pour l’instant la proposition présidentielle d’un ministre des finances de la zone euro et d’un budget commun est reportée à plus tard ?
BLM : C’est la clé de voute du système. On peut pas poser clé de voute sans avoir installé les arc boutants — union bancaire, convergence fiscale, union des marchés de capitaux. La clé de voute est indispensable, mais sans travail technique, aride sur les autres sujets, nous n’arriverons à rien.
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